It's my world...

Le médecin avait prévenu ce jeune couple, inquiets dans son bureau avec leur petit garçon : on ne pouvait pas le guérir, seulement limiter les dégâts. L'oreil interne,

c'est délicat. Et même s'il entendait bien pour le moment, cela ne durerait pas.
Jason n'en passa pas moins une enfance heureuse. Ses parents faisaient tout pour protéger un maximum ses oreilles, bien que son ouïe déclinât lentement mais sûrement. À

neuf ans, il dut porter un amplificateur pour pouvoir entendre correctement. Si tout allait bien, ça ne devait pas s'empirer plus que ça. Il devrait certes porter un appareil,

mais entendrait toujours. Et puis, la médecine faisait des progrès très rapides en ce sens.
Enfant souriant, sociable, à l'imaginaire sans bornes, il n'inquiétait ses parents que par les longs moments silencieux qu'il passait à contempler le ciel. Mais ce n'était que

rare, ou du moins, ils ne le voyaient que rarement le faire. Attentif au monde qui l'entourait, il apprit à lire sur les lèvres, ainsi que le langage des signes. Il observait tout

ce qu'il se passait, développant une excellente mémoire, une vue infaillible, et beaucoup d'autres qualités sensorielles. Les médecins l'expliquaient facilement : quand un

organe ou un sens est défectueux, le cerveau s'arrange pour compenser grâce aux autres.
Jason aurait donc pu passer le reste de sa vie à entendre assez bien avec un appareil auditif. Le problème, c'est qu'il ne fallait pas l'exposer aux bruits trop violents.

Alors, le jour où un accident de voitures arriva, à dix mètres de lui, il n'y a pas que les carrosseries qui souffrirent. Il avait douze ans, et ce fut le jour où on le plongea

dans le silence. Sauf miracle, définitivement.
Il eut droit à tout le barda hospitalier, aux écoles spécialisées, aux films en sous-titré, tout. Mais lui préférait observer les gens "normaux", se fondre parmi eux, plutôt

qu'être enfermé entre quatre murs où personne n'entendait rien. Lui qui avait connu le son, il le regrettait, et continuait d'en sentir les vibrations. Mais plus que tout, il

regardait. C'est uniquement en observant les autres qu'il a développé son talent : le dessin.
À présent étudiant en Art et Histoire des Arts dans une fac tout ce qu'il y a de plus classique, hormis son excellent niveau, il continue de vivre sa vie, doucement, solitaire

malgré lui. En silence.

More of me...

Il paraît que la surdité est le handicap le plus dur à supporter. N'ayant pas testé les autres, je ne peux pas vous dire si c'est vrai. Toujours est-il que c'est affreux, ce

vide dans votre tête.

Je ne suis pourtant pas un garçon morne, en fait. C'est juste que parler sans s'entendre, ce n'est pas très agréable. Je m'entendais parler, enfant, donc j'en suis

parfaitement capable et ma voix n'est pas bizarre, selon les autres. Parce que je sais le faire. Pas comme les sourds-muets de naissance, qui n'ont jamais rien entendu, y

compris leur propre voix. Les pauvres...
Et puis il y a le fait que je suis différent. Et la différence, ça fait peur. On en parle, on compatit, mais de loin.
Moi je regarde. J'observe, je lis sur les lèvres. Et quand il y a quelqu'un de sympathique pour prendre un moment avec moi, alors je me montre comme je suis au naturel :

souriant, avenant, agréable, plutôt drôle. J'utilise en général des petits carnets de conversation, où je note ce que je veux dire. Parfois, j'ai la chance de rencontrer

quelqu'un qui connaît le langage des signes. Les autres n'ont pas besoin d'écrire : s'ils articulent correctement, alors je comprends tout ce qu'ils disent.

Le reste du temps, je regarde. Je regarde et je dessine.

Un peu sur vous.

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